Camps de Luca, tailleur parisien

La rentrée étant définitivement derrière nous, l’homme moderne 2.0 peut se concentrer à nouveau sur ses hobbies. Quoi de mieux pour commencer cette saison, et fêter les un an du blog (et oui, déjà) que de découvrir les coulisses d’une des maisons de tailleur les plus réputées au monde, et pour une fois, pas si loin que ça, puisqu’elle se trouve Rue de la Paix à Paris. Je veux bien sûr parler de l’atelier Camps de Luca ! J’ai eu la chance de venir visiter deux fois l’atelier, et c’est forcément un moment à part. A part, parce que très peu de tailleurs ont une place aussi iconique dans l’univers des passionnés. A part, parce que cette maison fait partie des dernières en France. A part aussi parce que beaucoup y ont fait leurs preuves, avant de devenir eux-mêmes tailleurs, en fondant des maisons qui rayonnent (ou ont rayonné) dans le monde entier, garantissant à leurs clients ce qui se fait de mieux en terme de travail manuel, ainsi qu’en maîtrise des techniques tailleur.  Ce n’est donc pas un simple atelier, mais aussi une partie de toute l’histoire du monde tailleur qui s’écrit au travers de quelques pièces dans cet atelier parisien. Et pour un passionné comme moi, c’est forcément un grand moment que de pouvoir y entrer.

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Camps, De Luca, l’équilibre parfait.

La maison de tailleur Camps de Luca naît en 1969 à Paris. Elle est le fruit de l’association de deux grands tailleurs de l’époque, Joseph Camps, et Mario de Luca. Joseph Camps, d’origine Espagnole, est arrivé à Paris après la guerre. Il était réputé pour être un génie de la technique et un innovateur hors pairs. Il a formé certains des tailleurs les plus réputés de la génération suivante, Francesco Smalto bien sûr, mais aussi Claude Rousseau ou Henri Urban. Mario de Luca quant à lui était originaire de la ville d’Atine dans les Abruzzes (région sartorialement connue pour abriter les ateliers de Brioni). Il passera par Rome et Milan avant de s’installer à Paris en 1948. Excellent tailleur, il a le sens du style, de la silhouette, un coup d’œil sans faille pour habiller ses clients.  Installée place de la Madeleine jusqu’en 2014, la maison deviendra l’un des symboles de l’art tailleur dans le monde.

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Depuis presque 50 ans la Maison Camps de Luca travaille avec une rigueur et une précision remarquable

En 1970, Marc de Luca, le fils de Mario, intègre la maison en tant qu’apprenti et apprend toutes les subtilités du métier afin de devenir maître tailleur 12 ans plus tard. C’est lui qui dirige aujourd’hui la maison, assisté par ses deux fils Charles et Julien.

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Charles de Luca, troisième génération de la famille à travailler pour la maison Camps de Luca, ici en train de reporter sur un tissu le patron d’un client

En 2014, suite au décès d’Alain Stark, les de Luca décident de racheter la maison Stark & Son et de s’installer dans ses locaux, déménageant ainsi de leurs locaux historiques place de la Madeleine, vers la Rue de Paix. Les deux marques continuent d’exister aujourd’hui, Stark & Son n’ayant pas été englobée par Camps de Luca, elles permettent de proposer deux offres bien distinctes de costumes. Camps de Luca reste le nom utilisé pour les pièces en grande mesure, et Stark & Son, après une réactualisation de l’offre, permet de proposer une offre de petite mesure unique en son genre à Paris, mais j’y reviendrai une autre fois.

 

Camps de Luca, le culte de l’excellence

La grande mesure, c’est le synonyme de l’excellence. La perfection du vêtement. Celui qui pousse la porte d’un tailleur n’en attend pas moins. Et c’est exactement ce que propose la maison Camps de Luca. Proposer des pièces qui soient à la fois réalisées dans la plus pure tradition, de la meilleure façon qui soit, tout en proposant une coupe totalement adaptée au physique du client. Ce qui est intéressant lorsqu’on parle de grande mesure, c’est qu’on évoque plus souvent la réalisation manuelle, les détails stylistiques, et moins souvent la coupe. Pourtant c’est bien elle qui fait qu’on entre chez un tailleur. C’est son interprétation de notre physique qui va décider si on veut aller plus loin avec lui, pas la propreté d’une couture. Et quelle coupe ! Un costume Camps de Luca, c’est une coupe intemporelle qui ne viendra pas voler la vedette à celui qui porte la pièce, une sorte d’understatement à la française. Entendons-nous bien, contrairement à ce que certains veulent penser, intemporelle ne veut pas dire d’il y a 50 ans et qui n’a pas bougé depuis. Elle est intemporelle car réellement hors du temps. Peu importent les modes et les tendances, un costume Camps de Luca sera toujours adapté, que ce soit aujourd’hui, il y a 30 ans ou dans 30 ans, une valeur sûre en somme.

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travail manuel, précision, rigueur sont les maîtres mot pour réaliser un costume sur-mesure

On retrouve les  particularités de l’école parisienne, l’emmanchure haute qui permet une plus grande aisance des mouvements de bras (ce qui explique que Claude François ait été client de la maison), une épaule structurée, avec des épaulettes, une veste cintrée mais pas étriquée, des fentes et des poches hautes qui donnent à la silhouette un côté élégant, plus élancé. On retrouve aussi des détails esthétiques, comme la poche intérieure en forme de goutte, les initiales brodées juste sous la boutonnière de manche, un pli bien marqué au niveau du tissu qui va créer la fente. Et, bien sûr, celui qui a lui seul mériterait tout un article, le revers et son cran si particulier, connu sous le nom de cran parisien, inventé par Joseph Camps, reconnaissable entre mille. Vraie signature de la maison, on le reconnaît au revers faisant un angle de 90°, à l’anglaise, qui casse avant de remonter vers le col, et la contre-anglaise qui referme le cran avec un angle très serré.

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Le cran parisien, détail stylistique et pourtant si emblématique de l’art tailleur parisien

Visite d’un atelier d’exception

J’ai eu la chance de visiter un certain nombre d’ateliers, de tailleurs ou d’autres produits. Ce qui est toujours frappant, c’est à quel point chacun est unique. On y retrouve les mêmes objets, et pourtant on peut remarquer à quel point chaque maison va avoir développé ses habitudes, ses méthodes de travail, et dans tous les cas, tout tourne comme une horloge, même si, depuis le déménagement, les locaux sont divisés entre deux étages ! Plutôt que d’être trop long, je te laisse savourer les images :

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La première étape dans la réalisation d’un costume, transposer  à la craie le patron qui donne les meures du client.
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L’épaule est primordial dans la réalisation d’un costume, elle définit une grosse partie de la silhouette de celui qui portera la veste

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Petit  à petit, le travail manuel permet d’assembler l’épaule au reste de la structure et la veste commence à prendre forme
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Le nombre d’étapes nécessaires à la réalisation d’une poche poitrine est impressionnant
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le travail est toujours aussi minutieux, la poche doit être esthétique, et ne pas fragiliser la veste
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Comme la poche poitrine se situe sur une partie du corps qui n’est pas droite, elle est travaillée sur un support arrondi pour être le plus proche de la réalité
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On peut voir ici que la poche est placée derrière la structure de la veste

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Cette veste non finie permet d’observer la précision et la quantité de points réalisés sur la toile

 

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Boutonnières de bas de manche…
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…qui cachent les initiales du client brodées à la main, détail original mais discret
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Assemblage au niveau de l’épaule, on peut voir le tissu, la toile et l’épaulette
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La poche briquet en forme de goutte, détail discret cher aux tailleurs parisiens

Une expérience passionnante

Visiter l’atelier d’un tailleur est toujours une expérience passionnante. Rencontrer des professionnels qui maintiennent et transmettent des décennies d’innovation, de travail, de recherche de la perfection permet de se rendre compte de la complexité d’un tel métier. Rares sont les endroits qui peuvent prétendre à cette noble tâche (on en trouve quelques-uns entre Londres et Palerme), et c’est à chaque fois le même émerveillement. Bien sûr, qui dit excellence, dit rareté et donc inaccessibilité. C’est pourquoi les passionnés s’arrachent les pièces venant de grandes maisons comme Camps de Luca sur le marché discret mais de plus en plus présent du chinage (l’ironie du procédé consistant à s’acheter des vêtements sur mesure… qui ne sont pas aux nôtres). C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus frappé lors de mes visites, à quel point malgré une histoire aussi riche, la maison reste ancrée dans le présent tout en n’oubliant pas de penser à son avenir. J’en profite pour remercier la famille De Luca, ainsi que les employés de la maison pour l’accueil toujours chaleureux et le temps qu’ils m’ont consacré !

 

 

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