Il y a des jours où les hasards du calendrier pourraient nous faire passer à côté de petites merveilles. Ça a failli être le cas il y a quelques temps. En 2017 je suis contacté par une personne m’expliquant qu’elle lance une activité de costumes en prêt-à-porter et mesure, et me propose de visiter son atelier qu’elle vient d’inaugurer à Casalnuovo, cette ville de la banlieue de Naples bien connue pour le nombre conséquent d’ateliers tailleur qu’elle accueille. Très tenté par l’invitation, je lui promets de venir à mon prochain passage à Naples. Les aléas de la vie étant ce qu’ils sont (obligations professionnelles, budget à prévoir…) c’est donc près de 8 mois plus tard, après plusieurs invitations et relances, que j’atterris à Naples un samedi matin et saute dans ma voiture de location pour enfin rencontrer Pasquale Cavaliere !
Si je te raconte tout ça, ce n’est pas pour broder ou parce que ça répond à une consigne de formation de storytelling quelconque. Non, c’est parce que ça te permet de mieux comprendre ce qui me guide. Je ne cherche pas à lister toutes les marques, ateliers qu’on peut trouver dans le monde. Je me laisse guider dans mon voyage sartorial par des rencontres, je privilégie les gens passionnés par leur métier, qui ont quelque chose à raconter, qui séduisent par les particularités inhérentes à l’histoire de leur entreprise plutôt que par la perfection d’une offre qui répond à tous les bullet-point définis par des « experts », mais totalement fades et sans âme. Bref, revenons à cette découverte.

L’histoire de la sartoria Cavaliere
Par où commencer… par la famille sûrement, c’est la base de beaucoup de réalités économiques italiennes. La sartoria Cavaliere est créée en 2017. Mais la tradition sartoriale de la famille remonte à bien plus. En effet, le grand-père et le père de Pasquale, Paolo, qui nous a malheureusement quittés cette année, sont tous deux tailleurs. Le parcours de Paolo en particulier est intéressant tant il correspond à la réalité de la tradition tailleur napolitaine que nous connaissons le mieux. Né en 1948, il commence son apprentissage à l’âge de 10 ans, comme de nombreux jeunes garçons de la région. Formé à l’art tailleur traditionnel napolitain, il aura l’occasion de côtoyer de grands maître napolitains, tels que le symbolique Blasi ou le moins connu mais tout aussi réputé Fusco. Pendant les années 60 et 70, avec ces grands maîtres, il participera à la modernisation de son métier afin d’adapter celui-ci aux mutations que subit le monde du vêtement masculin, tentant de rassembler artisanat et industrialisation afin de proposer un produit adapté à la consommation « de masse » tout en gardant les qualités et le charme du produit fait main (à peu près à la même époque, un certain Joseph Camps tentera la même chose à Paris).

Plus récemment, et ce pendant près de 15 ans, Paolo intégrera une autre société bien connue des amateurs, Sartoria Partenopea, fondée par le petit fils du grand Blasi, et qui rayonnera sur un plan international. Ses fils, Carmine, Pasquale et Marco le rejoindront dans cette aventure, chacun développant différentes compétences propres à l’art tailleur et à l’entreprenariat.
Après la fermeture de Sartoria Partenopea, Paolo et ses fils décident de créer leur propre maison. Leur but est de réunir une équipe d’ouvriers experts dans leur métier, et de proposer un produit de qualité avec un processus de fabrication adapté aux attentes de notre époque. Ainsi, la sartoria est en mesure de proposer tout ce que peut attendre une boutique, du prêt-à-porter à la petite mesure.

A une époque où la demande en demi-mesure de qualité semble croître, la sartoria Cavaliere a parié sur l’avenir, et s’est structurée pour pouvoir répondre à la demande. Cette société familiale, est déjà grande, avec un atelier de 750m² à Casalnuovo di Napoli (la célèbre « ville des tailleurs ») où une équipe de 20 personnes produit une quinzaine de pièces par jour.

Un produit de qualité
Comme je le disais, les Cavaliere cherchent à proposer un produit conçu avec soin, et de manière semi-artisanale. Contrairement à un produit sur-mesure classique, qui serait entièrement réalisé à la main, il est nécessaire de réduire les coûts et donc d’industrialiser et mécaniser certaines étapes. Le produit reste quand même largement réalisé à la main. Les boutonnières et les surpiqûres bien-sûr, mais aussi une grande partie de la structure intérieure, les bas de manche et le fond de la veste. L’avant de la veste est monté main, afin de le rendre plus souple, et de garantir une ligne plus naturelle à l’œil du connaisseur. Enfin, le col ainsi que la tête de manche sont bien évidemment réalisés à la main.

La maison travaille avec les tissus des plus grands drapiers, Loro Piana, Piacenza, Ariston, Cerruti… et toutes les options sont possibles, que la veste soit doublée, non doublée, avec des poches plaquées, ou à rabats, tout est personnalisable.
Par ailleurs, comme nous parlons ici de PAP ou de demi/petite mesure, les patrons de base utilisés sont travaillés de manière à nécessiter peu de modifications. J’aimerais attirer ici ton attention sur un point intéressant. Ayant eu l’occasion de tester un certain nombre d’offres, il me semble qu’un des points sur lequel les maisons italiennes se distinguent, bien avant la qualité des finitions, c’est la coupe. Les coupes de base, en particulier lorsqu’on s’intéresse aux petites et grandes tailles me semblent plus réussies. Cette base solide, alliée à des partenaires compétents en Europe du Nord et en Russie permet de proposer un service de mesure qui garantit aux clients à l’international de profiter d’une coupe parfaite, et de profiter de la célèbre ligne souple et de l’épaule napolitaine dite « a mappina ».

Test d’une veste Sartoria Cavaliere
Bien sûr, il aurait été dommage de ne pas profiter de mon passage à la sartoria pour ne pas tester ce produit qui me semblait très intéressant. En particulier le fait de pouvoir faire un vrai essayage intermédiaire, option que je recherchais. Pour cette commande, afin de ne pas trop rallonger les délais, nous avons décidé de fonctionner d’une manière un peu particulière.

Stylistiquement, je cherchais à m’éloigner des « basiques », mot que je déteste de plus en plus. Je voulais quelque chose de plus original, pointu. Pasquale me propose un magnifique pied-de-poule bleu et blanc Loro Piana qu’il a en stock. J’accroche tout de suite. Je choisis un modèle faux trois boutons, avec une épaule napolitaine, sans fronces. Pour les poches, le classique rabat, pour garder un côté plus habillé. Les revers seront larges, et en pointe.

Après la prise de mesures, la sartoria a préparé ma veste pour l’essayage intermédiaire et me l’a envoyée à Paris. Plutôt que d’attendre de pouvoir nous revoir, nous étions convenus que l’essayage se ferait grâce à des photos et à mon retoucheur, qui a eu la sympathie de bien vouloir vérifier ce qui n’allait pas. Par chance, il y avait relativement peu de modifications à faire. Décider de la longueur de manches, décaler la position du bouton fermant, un léger pli à l’arrière, bref des détails.

J’ai ensuite expédié la veste à Naples, où elle a été terminée puis m’a été renvoyée. Alors qu’en dire… C’est certainement l’une de mes plus belles pièces. La sartoria maîtrise son process de fabrication je n’ai rien à dire sur la coupe, toutes les modifications ont été apportées. C’est parfait. Au port c’est une veste que j’aime beaucoup, qui a énormément d’allure, tout en restant assez sobre. Je ne peux que recommander. Le résultat final porté :
Conclusion
J’adore ce genre de découverte. Un peu à l’abri de la hype des réseaux sociaux, plein de petites maisons existent, qui fournissent en pièces de qualité l’ensemble des grands acteurs du milieu (la sartoria Cavaliere, en plus de proposer sa propre marque, fabrique aussi pour d’autres maisons beaucoup plus connues du grand public). Mais rares sont les entreprises autant adaptées au monde moderne. Beaucoup sont des ateliers familiaux déjà anciens, peu mécanisés, et pas toujours aptes à une production de série. Ce qui est rassurant, c’est que la sartoria sera capable de s’adapter aux évolutions du métier, et à la demande du client, qu’il cherche un produit typiquement napolitain ou au contraire une pièce beaucoup plus structurée. Une maison à suivre, et à tester !


