Petite nouveauté sur le blog, j’accueille aujourd’hui Raphaël, un très bon ami, sartorialiste et fin connaisseur de la chose calcéophile. Il m’a proposé il y a quelques temps d’écrire sur une marque peu représentée sur le web francophile, Heinrich Dinkelacker. N’étant pas moi-même client de cette maison, et comme tu le sais étant défenseur de retours d’expériences concrets venant du terrain, j’ai volontiers accepté de lui prêter ma colonne bloguistique pour te parler de son expérience avec la marque, complétée par une interview avec l’équipe de la marque.
C’est lors de l’édition 2019 du Super Trunk Show londonien que Raphaël a pris contact avec leur équipe et qu’est venue l’idée de présenter la marque. Je me tais donc et laisse « la parole » .

Heinrich Dinkelacker : test d’un derby Brogue
Henrich Dinkelacker est un chausseur qui ne laisse pas indifférent tant son style est reconnaissable entre mille.
Ce qui saute aux yeux ce sont d’abord ses formes généreuses dont beaucoup, comme la Buda et la London, sont d’inspiration austro-hongroise. D’ailleurs toutes les formes sont proposées en largeur G (soit 2 largeurs au-dessus du standard qui est en général un E chez les autres marques. Ndlr).

Le choix des patronages détonne également, mêlant le très classique avec des déclinaisons originales de designs vus et revus. Un brogue sera par exemple perforé à certains endroits mais pas à d’autres. Un modèle de derby Budapester pourra n’avoir que trois œillets, comme le feraient les paires les plus élégantes d’une collection classique.
Enfin, la construction alterne le robuste – double et triple semelle – avec l’indestructible cousu goyser, dont les fils contrastent très souvent avec la couleur de l’empeigne.

J’ai pu tester une paire de derby full brogue au patronage très classique, monté sur la forme London et proposé en cuir de cheval, le fameux cordovan « color 8 » de chez Horween.
L’emballage est soigné, une paire de lacets supplémentaires est offerte, rien à redire sur la présentation.
J’ai commandé ma taille habituelle en point anglais (un 6,5 UK) et comme pressenti, la forme n’est pas particulièrement longue mais est très généreuse en largeur. Cela tombe bien, l’idée était de pouvoir la porter avec de grosses chaussettes hivernales. C’est une forme ronde à l’ancienne, sans galbe particulier.

Bonne surprise malgré la double semelle respirant la solidité, le confort en marchant est immédiatement au rendez-vous, les sensations au porter sont très bonnes et la flexion se fait sans soucis.
La peausserie utilisée est excellente, épaisse et souple à la fois. Alors que le cordovan peut souvent avoir tendance à « onduler » et faire de grosses vagues à l’endroit des plis de marche, quasiment rien à signaler ici à l’exception d’un léger pli sur le pied gauche. Peut-être un coup de chance.
Les finitions sont à l’avenant de ce que l’on retrouve en Hongrie, je pense notamment à Vass. Le cousu main a son charme, même si le nombre de point par pouce (la fameuse « roulette ») est modeste et loin des standards des bottiers d’Europe de l’ouest.
Le patronage full brogue, bien que classique, a quelques particularités ici :
- Je note la pointe du bout golf qui est particulièrement prononcée et pas particulièrement fine.
le Pembroke de Crockett & Jones, une référence en matière de brogue
- Autre originalité, la forme de la talonnette (la couture latérale arrière) qui ne tombe pas à angle droit sur la semelle mais part légèrement en arrière.

Enfin il faut parler du prix, soit 690€. Pour une paire en cordovan montée à la main c’est sans aucun doute très compétitif.
Vass a plus de variété et la possibilité de faire d’innombrables Made To Order à un prix toutefois légèrement supérieur.
Des modèles plus fins et élégants sont disponibles chez Carmina par exemple, avec une construction industrielle plus classique.
En restant dans le plus rustique, on citera évidemment Alden qui reste la référence en souliers en cordovan, avec une construction industrielle américaine nettement plus onéreuse si l’on achète sa paire en France.

C’est finalement une paire que j’ai beaucoup de plaisir à porter avec un jean ou un pantalon en laine épaisse. Si on adhère à la ligne stylistique singulière et que l’on n’a pas le pied trop fin, Henrich Dinkelacker est une maison dont on ne peut que louer la fabrication soignée et l’utilisation de méthodes traditionnelles.
Entretien avec l’équipe Heinrich Dinkelacker
- Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’histoire de la marque ?
La maison a été fondée en 1879 à Sindelingen en Bavière dans la région Souabe de l’Allemagne. Dès la création l’accent était mis sur la durabilité des chaussures.
- Quel est le lien entre Dinkelacker et Shoepassion ?
Fin 2016 la maison a évolué à la suite de son rapprochement avec Shoepassion GmbH. Cette marque basée à Berlin propose depuis 2010 des chaussures en cuir cousues Goodyear pour homme et femme ainsi que des accessoires. A la base son fonctionnement était strictement basé sur de la vente en ligne mais depuis plusieurs années de nombreuses boutiques physiques ont été ouvertes dans les grandes villes allemandes et certaines capitales européennes.
- l’ADN de la marque est-il allemand ou hongrois ?
Réponse : le déménagement de la manufacture en Hongrie dans les années 60 fut une décision historique et avant-gardiste. La production est depuis réalisée dans un des plus anciens ateliers d’Europe, à Budapest. La maison y a trouvé le savoir-faire nécessaire pour y continuer sa production, ce qu’elle avait du mal à trouver en Allemagne.
- Quels sont les principaux marchés de la marque ?
Les chaussures de Heinrich Dinkelacker ont beaucoup de succès en Allemagne, en Autriche, en Suisse et au Japon. Heinrich Dinkelacker est régulièrement invité à participer à des défilés de mode dans le monde entier. De plus, une collaboration a été lancée avec la marque japonaise Comme des Garçons (Junya Watanabe x Heinrich Dinkelacker).
- Quels sont les matériaux utilisés pour la fabrication de vos chaussures ?
Nous utilisons des semelles en cuir de chez Redenbach (JR), principalement double ou triple et travaillons avec des matières naturelles.
Notre cordovan provient exclusivement de Horween aux Etats-Unis.
- Quelles opérations sont réalisées à la main et à la machine ?
L’essentiel de nos chaussures est réalisé manuellement. Nous utilisons bien quelques machines pour certaines opérations bien précises mais le montage est réalisé à la main.
Commentaire Florent : Bien que j’aie moi-même une paire de Brogues en Cordovan (d’une marque plus traditionnelle), ce n’est pas tu t’en doutes le style de souliers sur lequel j’ai un avis particulier tant il ne s’inscrit que peu dans mon univers. Le style est apprécié, en particulier au Japon (mais peut-on vraiment se fier à un pays où le Michael de Paraboot se vend bien ?), où les souliers rustiques sont très recherchés. Ayant moi-même pu discuter avec les équipes de chez Dinkelacker et Shoepassion lors du Trunk show, je trouve intéressant qu’une marque relativement ancienne comme Dinkelacker se rapproche d’un acteur bien plus récent comme Shoepassion, avec des façons de faire et des clientèles différentes. Pour le prix, on a un soulier dans la plus pure tradition austro-hongroise, en cordovan, avec une semelle Redenbach, le tout monté main, de manière propre (je n’ai pas dit fine, ce n’est pas le même univers, mais propre), ce qui n’est pas le cas chez tout le monde.