La Chemise Française : une nouvelle référence du PAP

La Chemise Française

Voilà un nom qui ne laisse pas d’ambiguïté sur la suite du programme. Aujourd’hui nous parlerons donc chemise et production française, deux sujets qui ne vont pas assez souvent ensemble. Pourtant, c’est à moins de trois heures de Paris, à Chalon-sur-Saône que se trouve l’atelier de production de la Chemise Française, où depuis plus de 70 ans on fabrique des chemises. Et tu n’étais même pas au courant… (oui, je sais, moi non plus)

Un peu d’histoire

Je vais essayer de faire bref, mais pour planter le décor et te permettre de mieux comprendre ce qui se cache derrière la Chemise Française, voici quelques éléments de chronologie. C’est en 1947 qu’Albert Gauthier ouvre un atelier de fabrication de chemises à Buxy qu’il vend sous le nom Dalmory. Neuf ans plus tard, l’atelier déménage pour s’installer à Chalon-sur-Saône, en plein cœur de la ville. C’est dans ce même atelier que l’entreprise continue d’exercer son activité aujourd’hui. Cinquante ans plus tard, malgré l’explosion des productions délocalisées, le règne de la fast-fashion et un secteur moins dynamique que ce qu’il fut quelques décennies plus tôt, Bernadette et Michel de Saint-Jean rachètent l’entreprise et son savoir-faire afin de continuer à produire des chemises de qualité, sous le nom d’ateliers Gauthier, mais aussi en marque blanche pour de nombreux acteurs du marché qui recherchent un produit de qualité et une production locale.

Voici un certificat qu’on ne trouve pas à tous les coins de rue…

Plus récemment forte d’un label Entreprise du Patrimoine Vivant décerné en 2019 et consciente de l’évolution du marché, des habitudes et attentes des consommateurs, l’entreprise lance la marque « La Chemise Française » avec pour but de promouvoir la fabrication française et le savoir-faire français lié à ce produit. C’est dans ce cadre là que la famille de Saint-Jean m’a contacté afin de me présenter leur produit, et surtout de visiter leur atelier.

Vu de l’extérieur, rien ne laisse imaginer ce qui se cache derrière les murs du 2 rue Dewet. Et pourtant, c’est une vraie unité de production qui se trouve là. Il faut qu’on commence par un point de sémantique d’ailleurs. Lorsqu’on parle de production de produits physiques, les gens semblent avoir une vision très simpliste de la réalité économique des choses, voire un peu caricaturale, avec d’un côté des ateliers d’artisans, à la taille microscopique, souvent un artisan et éventuellement quelques employés réalisant leurs produits avec uniquement du fil et une aiguille, ignorant tout du monde moderne et de ses outils, et de l’autre des usines de production qui sortent des centaines (voire des milliers) de pièces par jour de manière industrielle. Pourtant la réalité c’est qu’en Europe, la plupart des entreprises du secteur ne sont ni l’un ni l’autre, mais des PME souvent de quelques dizaines d’employés (on est plus proches de 3-4 que de 15-20) extrêmement qualifiés qui travaillent souvent sur des machines au niveau d’automatisation limité (oui oui, le mot machine n’est pas un gros mot).

Peu importe tes goûts, tu trouveras ici forcément quelque chose à porter !

Sur ce blog, je t’ai souvent parlé de sur-mesure, de micro-ateliers réalisant tout à la main, alors qu’est-ce qui change ?  Beaucoup de choses, et finalement assez peu.

Une chemise de qualité

Comment reconnais-tu une chemise de qualité ? La première fois qu’on s’est rencontrés, c’est la question que m’a posé Romain de Saint-Jean et il est vrai que la réponse ne vient pas de soi. Le plus simple, c’est de la porter. Si elle ne bouge pas après de nombreux ports, c’est que c’est un bon produit, si au contraire tu dois la jeter après trois ports….  Certes, c’est une réponse facile, mais qui ne t’aide pas lorsque tu es dans une boutique. Essayons d’être un minimum méthodologiques. Une chemise c’est 3 choses :

  • Un patron : c’est peut-être le point le plus délicat et personnel à juger, le patron c’est un choix de marque, quel fit, quel volume donner à la chemise. Ce n’est pas parce qu’une chemise ne te va pas qu’elle est mauvaise, cela dit à force d’en essayer on se rend compte que certains patrons sont mieux conçus, qu’ils tombent mieux et qu’ils sont plus en phase avec les silhouettes recherchées. Je ne te parle pas là de suivre les modes tous les 6 mois mais bien de s’adapter aux mutations plus profondes du marché, taille des emmanchures, modèles de cols, poignets, fit plus ou moins cintré… c’est quelque chose qui se réfléchit. A titre d’exemple, la Chemise Française a revu ses patronages il y a 3 ans afin de coller aux attentes de la clientèle actuelle.
Tout l’art de la chemise est là, partir de découpes de tissu en 2D pour donner une silhouette réussie en 3D, sans aucune aide
  • Un tissu : la matière première, tout part de là. Je sais ce que tu penses, tout le monde se fournit chez les mêmes tisseurs et a donc accès aux mêmes tissus. Oui, mais ce n’est pas tout, encore faut-il les choisir, pas seulement d’un point de vue stylistique mais aussi d’un point de vue technique, identifier qui fabrique les tissus les plus faciles à travailler, les mieux adaptés aux process de l’atelier, afin de ne pas ralentir la production. Cela demande une connaissance étendue de la production textile actuelle et de son propre outil de travail. La matière première ce n’est pas que ça, c’est aussi savoir identifier les meilleurs fournisseurs de boutons (avec un bel aspect mais pas trop fragiles), ou de toiles de colle (avec une bonne durabilité, mais aussi une certaine souplesse…), bref tous ces petits détails qu’on oublie souvent mais qui, mal choisis, peuvent ruiner un produit.
Pour avoir un produit de qualité il faut savoir choisir un matériau de qualité à travailler, sans cela, aucune chance de succès
  • Une fabrication : c’est ici que l’atelier joue tout son rôle. D’aucuns diront qu’une chemise c’est plutôt simple, il suffit de coutures bien droites et régulières et de boutons robustes et le tour est joué. Oui mais… justement c’est bien là tout le problème, ce n’est pas tout de savoir réaliser une jolie chemise, il faut être capable de recommencer plusieurs heures par jours plus de 200 jours par an avec régularité tous ces gestes, et cela n’est possible que grâce à des ouvriers qualifiés, bien formés, et expérimentés qui sauront maintenir cette régularité de production, peu importe le tissu à assembler. Eh oui, un gros oxford bien lourd c’est facile à coudre vite, mais une série en tissu 300/2 tout fluide, c’est une autre paire de manches. Tu n’es toujours pas convaincu ? Il suffit de regarder la quantité de produits affolante, même parmi ceux vendus horriblement cher avec des coutures pas vraiment droites, aux boutons qui sautent après deux lavages… On arrive là à un concept primordial dans l’industrie, le vrai défi c’est fabriquer bien ET en quantité
Un atelier de production ça ressemble à ça, toute une organisation pour permettre de réaliser un produit de la manière la plus optimisée possible

Visite de l’atelier

L’atelier s’organise très naturellement en suivant l’ordre des étapes à réaliser pour réaliser une chemise. Depuis le stock de tissus, la première étape, la conception de l’article, permet de définir les patrons via un outil de CAO (Conception assistée par Ordinateur). Vient ensuite logiquement la partie la plus impressionnante et celle que nous connaissons souvent le moins, la découpe du tissu. Cette étape est certainement celle qui diffère le plus d’un atelier sur-mesure. Pas question de travailler avec des coupons de tissu achetés au mètre. Celui-ci est livré en rouleaux de plusieurs dizaines de mètres, qui seront déroulés sur une très longue table (et ce sur plusieurs épaisseurs). La découpe du tissu est ensuite réalisée par une machine qui va se déplacer au-dessus de cette surface de tissu et découper toutes les parties des chemises. Les avantages sont nombreux, d’une part en positionnant les différents morceaux à découper sur un logiciel, cela permet d’optimiser la surface utile du tissu et de limiter les chutes, d’autre part. Bien sûr, une telle machine est capable de découper plusieurs dizaines de chemises à une vitesse bien éloignée de celle d’un humain, impressionnant !

On l’oublie souvent mais des sociétés comme Lectra, inconnues du grand public, sont un acteur majeur de l’automatisation d’une partie des métiers de la mode

L’étape suivante consiste à préparer les morceaux du col et des poignets devant être thermocollés. Ici aussi pas question d’utiliser un fer à repasser comme mon retoucheur. Une machine spécifique permet d’enchaîner les pièces en garantissant un thermocollage régulier et bien réalisé avec une cadence bien plus élevée. Pour ce qui est du col et des poignets, ici aussi on fait appel à des outils dédiés qui permettent de bien les former. Je n’en avais jamais vu avant, mais les moules de poignet et conformeuse de col et poignets sont ici aussi des outils uniques en leur genre qui permettent une optimisation du process et une garantie de résultat.

Des cols en cours de préparation
Voici une drôle de machine qui permet de réaliser des cols et poignets toujours impeccables

Viennent ensuite les différentes étapes d’assemblage de toutes les parties de la chemise, l’épaule, le dos, les manches… ici on retrouve la même chose que dans un atelier de sur-mesure, si ce n’est qu’ici aussi les machines à coudre sont plus industrielles. Attention, industrielles ne veut pas dire que tout est automatisé, je te le rappelle, c’est toujours la personne aux commandes qui gère le passage du tissu et la bonne qualité des coutures.

Enfin viennent les étapes de repassage et de contrôle qualité final de la chemise.

Cette visite s’est révélée particulièrement instructive sur la façon dont s’organise un atelier qui produit de la série, et les étapes où un outillage dédié permet d’accélérer et de fiabiliser le processus. Je connaissais assez peu ce côté de l’industrie de la chemise, et de ses acteurs. Par ailleurs, le savoir-faire et la polyvalence des personnes travaillant là sautent aux yeux lorsqu’on observe toutes ces activités. Et il n’y a qu’à voir la complexité du montage d’un col sur la chemise qu’il faut coudre, puis rabattre, et coudre une seconde fois tout en ne créant pas de décalage sur une pièce arrondie pour comprendre qu’on parle bien ici de savoir-faire.

Le contrôle qualité

C’est un point qu’on n’aborde pas assez souvent, mais les étapes de contrôle qualité sont primordiales dans un processus de fabrication, et puisqu’elles impliquent un contrôle humain, forcément coûteuses. Dans un contexte de fabrication unitaire, que ce soit du bespoke, du MTO ou du MTM, chaque pièce est sensée être contrôlée, puisqu’il faut s’assurer qu’elle correspond à la commande du client. Mais dans le cas d’une production en série en moyennes ou grandes quantités, le contrôle qualité peut être limité, en ne vérifiant qu’une partie de la production finale (certaines entreprises ont des règles par exemple sur le pourcentage de pièces à vérifier en fonction de la quantité produite, afin d’optimiser le ratio coût du contrôle/probabilité d’avoir un défaut).

Un contrôle qualité unitaire et manuel, c’est peut-être ça finalement, le luxe

Chez la Chemise Française, même dans le cas d’une production en série, deux étapes de contrôle qualité existent. Une première intervient en début de process, les morceaux de tissus sont contrôlés après leur découpe afin de vérifier qu’ils n’ont pas de défaut. Enfin, une fois la chemise montée, elle est contrôlée afin de vérifier s’il n’y a pas de défaut bien sûr mais aussi pour éventuellement retirer les petits fils qui pourraient dépasser et que toutes les coutures soient propres. On a donc le droit à un traitement bien plus poussé que ce que proposent les grosses unités de production qui sortent des centaines de pièces par jour.

Le sujet du made in France/EPV

La Chemise Française revendique dès son nom un produit made in France.  Le made in France pourrait faire l’objet de nombreux articles à lui tout seul. Beaucoup d’idées méritent d’être abordées, je reste persuadé qu’une consommation de produits locaux est à la fois meilleure pour notre économie et plus intéressante pour moi en tant qu’acheteur et passionné. J’aime savoir d’où vient le produit, qui l’a fabriqué, son histoire… Cela fait partie de l’expérience d’achat et de la raison pour laquelle on est prêt à payer plus pour un produit réalisé par une petite entreprise à 100 km de chez soi, plutôt qu’un produit équivalent produit en centaines de pièces dans une usine à plusieurs milliers de kilomètres par des entreprises qui n’ont pas grand-chose à raconter et ont une notion de respect de l’humain assez limitée.

derrière les machines, il y a des mains, celles d’ouvriers qualifiés capables de réaliser un produit de haute volée

Le problème, c’est qu’il y a des entreprises en France, en Italie, en Angleterre, en Europe qui font un produit moyen, voire mauvais, qui n’incite pas à acheter. Nous le savons tous, la notion de « made in » est très floue, et ne garantit pas grand-chose. Oui, mais… La Chemise Française bénéficie aussi du label « Entreprise du patrimoine vivant », créé par l’état en 2005 (et bien trop rarement mis en avant) qui est « une marque de reconnaissance de l’État qui distingue les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence ». Ce label, plus exigeant, distingue des entreprises possédant un réel savoir-faire, une réelle excellence de production, et une implantation géographique locale (pas juste pour coudre une étiquette…). Voilà un label qui mériterait d’être plus mis en avant, et pourquoi pas d’être élargi à un niveau européen.

La Chemise Française, un indispensable de ton vestiaire ?

Avec un tarif autour de 150 €, et après en avoir examiné un certain nombre et suivi tout le process de fabrication, mon ressenti est qu’on est là sur un juste milieu. La Chemise Française propose un produit haut-de-gamme pour un tarif très bien placé. A ce prix, le produit est de haut niveau, ce n’est pas pour rien que de grandes marques du monde du luxe y font réaliser leurs chemises, et tu te payes en plus un petit peu du patrimoine français. J’ajouterais aussi, car c’est un point qu’on ne relève pas assez souvent, que la collection est étendue. En termes de références, on en trouve pour tous les goûts, les grands classiques habillés, mais aussi du lin, ou de la flanelle plus décontractés pour les amateurs d’un style plus casual voir workwear (mais sans compromettre les finitions), des imprimés, et des matières plus originales, comme le tencel, car même si l’atelier existe depuis des décennies, on y travaille aussi les dernières innovations. Mais cela se retrouve aussi dans les tailles disponibles, du 38 au 50, ce qui permet d’habiller la plupart des gens, et nous change des entreprises vantant des coûts ultra-réduits mais qui ne proposent leurs produits qua dans un minimum de tailles. Alors pour moi, la Chemise Française dans mon vestiaire, c’est un grand OUI, sans aucune hésitation !

J’en profite pour remercier la famille de Saint-Jean et son équipe qui m’a accueilli et partagé son univers !

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