Mogada Munich, le renouveau de la botterie

Aujourd’hui, c’est botterie ! Et pas n’importe laquelle, car c’est d’un véritable coup de cœur dont je vais te parler. Louis Lampertsdörfer, le fondateur de la marque Mogada Munich a accepté de se prêter au jeu de l’interview afin de vous faire découvrir son univers. Il m’a semblé plus simple de te retranscrire directement ses réponses, mais avant ça, un peu de contexte.

Louis durant l’un de ses trunk show à Paris, attentif aux demandes de son client

Une belle aventure entrepreneuriale

Je ne sais plus exactement quand j’ai commencé à suivre Louis sur Instagram. Comme tout calcéophile qui se respecte, à l’affût du moindre fragment de coulisses de nos maisons préférées, cela fait un bon moment. Ajoutons à cela mon amour immodéré pour la maison Gaziano & Girling, je ne pouvais pas passer à côté. Mais le moment qui a tout déclenché, c’est en 2019, alors que Louis participe aux championnats du monde de botterie. Il présentera à cette occasion un modèle de richelieu full-brogue qui me tape dans l’œil. Tout est comme j’aime, raffiné, mais pas caricatural, particulièrement élégant, avec sa forme légèrement allongée mais pas pointue (je dirais presque un peu Lobb dans l’idée) et ce brogueing sur la talonnette qui ne se termine pas car « recouverte » par la pièce de cuir de devant. Une légère touche d’originalité pour se distinguer tout en restant d’un classicisme et d’une élégance hors normes. Il finira 6ème du concours cette année-là, un bien beau score !

Ce fameux richelieu brogue qui m’a tant plu!

La suite arrive un peu après le covid, alors que Louis est retourné dans sa ville d’origine et a lancé son offre bespoke. Je suis évidemment cela de près, son travail me plaît toujours autant et, comble des bonnes nouvelles, il vient faire des trunk show à Paris. Cela permettra d’une part de faire connaissance et surtout d’observer son travail, fini, tout autant que le process de prise de mesures, d’essayages… De quoi confirmer mon ressenti que nous nous trouvons en présence d’un artisan d’exception. Entretemps bien sûr, il y aura les championnats du monde 2023 où Louis finira troisième avec une superbe bottine, toujours aussi exceptionnelle.

La bottine balmoral, un modèle d’exception particulièrement réussi

Mogada Munich : l’Interview

Comment est né ton intérêt pour la botterie ?

Quand j’étais jeune, je jouais beaucoup au basket et je me suis intéressé aux sneakers et au design de sneakers. J’ai commencé à envisager cela comme une carrière possible alors que j’étais encore à l’école. J’ai commencé à travailler chez un cordonnier pendant mes vacances pour apprendre comment les chaussures sont faites. C’est à ce moment que j’ai été en contact pour la première fois avec des chaussures cousues et avec la beauté de cet artisanat.

Quel a été ton parcours pour apprendre la botterie ? Est-ce que ça a été difficile de trouver la bonne formation ?

J’ai commencé à pratiquer la fabrication de chaussures classiques comme un passe-temps à l’école et à l’université et j’ai visité des bottiers pendant mes vacances. Il était difficile d’apprendre le métier juste à partir de livres et de courtes visites à des ateliers, il m’a donc fallu décider si cela resterait un passe-temps ou si j’allais me dédier entièrement à ça. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai pris la décision de ne pas poursuivre une carrière dans le monde de l’entreprise mais devenir artisan et j’ai envoyé ma candidature à tous les bons ateliers d’Europe. Je n’ai obtenu que quelques réponses, mais parmi eux il y avait Gaziano & Girling. J’ai eu de la chance car le jour où j’ai envoyé ma candidature, l’apprenti précédent venait de démissionner, il y avait un poste vacant. Gaziano Girling reçoit énormément de demandes et heureusement, le timing a été parfait. Ils m’ont répondu que je pouvais faire mon apprentissage dans leur atelier mesure et j’ai déménagé au Royaume-Uni quelques mois plus tard. Après mon apprentissage, j’ai travaillé dans leur département mesure en tant que bottier et ces années ont vraiment forgé ma façon de travailler.

Le cœur de l’offre, le sur-mesure, on part d’une feuille blanche et tout se construit

J’ai non seulement appris à connaître la botterie traditionnelle anglaise, mais comme le département sur mesure est à l’intérieur de l’usine Gaziano & Girling, j’ai également pu apprendre beaucoup sur la façon dont les chaussures Goodyear sont fabriquées. Je suis très reconnaissant d’avoir pu faire mon apprentissage là-bas.

Tu as décidé de créer ta propre marque/atelier rapidement et de repartir à Munich. Est-ce que c’était ton projet dès le départ ?

Oui, j’ai toujours aimé l’idée de lancer ma propre marque. Cela me permet de faire des chaussures exactement de la façon dont j’ai envie.

En ayant ta propre marque tu dois faire à la fois l’artisanat, l’administratif, le Community management, et la partie commerciale avec de nombreux trunk shows. As-tu assez de temps pour faire des chaussures ?

Actuellement j’arrive encore à passer la plupart de mon temps à l’atelier, mais il est vrai que je jongle avec plusieurs tâches, ce qui n’est pas toujours évident, mais je crois que c’est logique quand tu es ton propre patron et j’aime avoir un peu de changement de temps en temps. La majeure partie du temps je fais des chaussures, mais je prends aussi des photos, j’échange avec des clients ou des fournisseurs, ou je travaille sur le site, j’aime bien ça.

Regarde la précision du travail, le travail de forme exceptionnel

Comment décrirais-tu le style Mogada ?

Je crois que ma formation en Angleterre chez Gaziano & Girling se voit dans mon travail, ce qui est très bien car ça montre d’où je viens. J’ai l’impression que mon style est en évolution depuis que je travaille en indépendant, et je pense que cela devrait continuer. J’aime le look « Anglais » et cela restera toujours une part importante de Mogada, mais par exemple le fait que je travaille avec un bottier italien pour mes souliers prêt-à-chausser et made-to-order l’enrichit aussi d’une petite touche italienne.

Ton cœur de métier est la réalisation de chaussures sur-mesure, y a-t-il des détails techniques ou des caractéristiques que tu veux mettre en avant ?

Toutes mes chaussures sur-mesure sont entièrement réalisées par moi. Je fais la forme, le patron, et la chaussure finale. Je ne fais appel qu’à un partenaire extérieur pour coudre la tige (NDR : c’est une pratique courante chez beaucoup de bottiers, le piquage étant considéré comme un autre métier) mais à part ça, le client peut être sûr que je suis le seul à avoir travaillé sur sa paire. C’est souvent utile puisqu’étant celui qui a pris les mesures, discuté avec le client et fait la forme, j’ai toutes les informations en tête quand je fais la chaussure finale ce qui me permet de prendre certains points en considération, ce qui est plus difficile dans des ateliers plus grands où les chaussures sont réalisées par plusieurs personnes.

Tu voyages pour rencontrer tes clients, est-ce facile de gérer la production sans prendre trop de temps pour livrer la paire finale ? Combien de rendez-vous sont nécessaires pour l’ensemble du processus ?

Oui je crois que voyager est essentiel dans ce business et c’est quelque chose que j’aime. Cependant faire un soulier sur-mesure cela prend du temps, vu la façon dont il est réalisé. En particulier la première paire où je réalise la forme pour le client. Je dirais qu’il faut 3-4 rendez-vous, depuis la prise de mesures, puis au moins 2 essayages et enfin la livraison de la paire terminée. Souvent, il faut plus de 2 essayages et j’aime prendre mon temps pour les faire, ce n’est pas là qu’il faut aller vite.  Même si cela demande un peu plus de patience de la part du client, c’est toujours une dépense de temps bien utilisée de faire un essayage supplémentaire. Tous mes clients ont apprécié ma façon de faire jusqu’ici.

Je suis limité en quantité de paires que je peux réaliser, il est d’autant plus important que la forme soit bonne quand je commence à travailler sur la paire finale. Si elle ne va pas, je devrai la refaire entièrement, ce que j’essaye bien sûr d’éviter.

Nouvel entrant de la gamme PAC, ce superbe mocassin ravira les plus passionnés

Tu passes régulièrement à Paris, es-tu content du marché parisien ?

Je le suis, j’ai plusieurs très bons clients à Paris qui m’ont aidé lorsque j’organisais mon premier trunk show et qui sont devenus des amis avec le temps. Je crois que mes clients qui cherchent un produit bespoke ont en général un bon sens du style qui se retrouve dans les commandes qu’ils me font.

J’ai le sentiment que la France est un de ces pays où les gens vont chercher à investir dans un beau vestiaire et apprécier les produits bien faits.

Est-ce que ça a été facile de développer une ligne de prêt-à-chausser en venant de la mesure ? Quels ont été les principaux défis ?

Je crois qu’être bottier m’a aidé énormément car je savais ce qui était possible et comment le réaliser. Quand je cherchais quelqu’un avec qui travailler pour produire ma ligne de prêt-à-chausser j’ai aussi visité des ateliers qui fabriquent des chaussures Goodyear mais j’ai réalisé que c’était fait d’une façon industrielle qui est certes plus rapide et économique mais qui limite sur de nombreux points importants car je voulais une ligne de prêt-à-chausser aussi proche que possible de mes chaussures sur-mesure.

Un indispensable, la Chelsea Boot noire fait partie des premiers modèles de la collection PAC

Peux-tu nous donner plus de détails sur la façon dont elles sont réalisées ? Quelles étaient tes spécifications pour avoir un soulier qui colle avec ton image bespoke ?

Ce sont des petits détails, mais tous ces petits détails réunis font la différence. Ma ligne de prêt-à-chausser est réalisée par un petit atelier familial, et toutes les chaussures sont cousues main et faites globalement comme je fais mes paires mesure.

Voici un bon exemple : Lorsque les chaussures Goodyear sont fabriquées, elles sont souvent montées sur leur forme avec une machine. Cela conduit parfois à ce que la tige ne soit pas entièrement serrée sur la forme et le contrefort du talon n’est pas bien moulé sur celle-ci et ne soutiendra pas le pied aussi bien que si vous tenez les tiges à la main et vous assurez que le contrefort se trouve bien sous la voûte plantaire. Ce sont des détails comme celui-ci sur lesquels je ne voulais pas de compromis parce qu’ils font la différence selon moi. J’ai quand même dû en faire quelques-uns pour du prêt-à-chausser bien sûr et il y en a eu deux. Le premier a été de coudre la semelle à la machine, ce qui me permet de proposer la paire un prix plus accessible et il n’y a pas de différence de longévité entre une semelle cousue main ou machine. Le second a été d’utiliser un bout dur synthétique plutôt qu’en cuir. Le bout dur en cuir doit sécher pendant une nuit avant de pouvoir être formé ce qui rend le process est à la fois plus rapide et moins cher.

Mais c’étaient les seuls compromis que j’étais disposé à faire, à part ça mes chaussures prêt-à-chausser sont réalisées main, que ce soit le montage sur la forme, la couture de la trépointe ou les finitions que je réalise moi-même dans mon atelier à la réception des paires.

Deux indispensables de la collection PAC, le richelieu cap toe noir, classique parmi les classiques, et le brogue avec le patronage du championnat de 2019

Entre prêt-à-chausser et bespoke il y a de nombreuses possibilités, made-to-order, made-to-mesure, quels sont tes projets de développement pour ton offre ?

Le made-to-order et made-to-mesure sont déjà possibles mais je n’ai pas eu le temps de les lancer sur mon site.

Avec le MTO mon client peut choisir un des modèles existants de ma ligne de prêt-à-chausser et piocher dans une large sélection de cuirs, choisir la semelle, la forme du talon et plein d’autres détails. J’essaye de rendre un maximum de choses possibles et même si le client veut changer légèrement le modèle, en modifiant le brogueing par exemple, ce n’est pas un problème.

Le MTM est un bel ajout à l’offre, cela permet de faire la jonction entre prêt-à-chausser et bespoke. J’ai introduit une étape qu’on pourrait appeler « fitting-service ». Le client reçoit une paire d’essayage dans sa pointure et peut les essayer tranquillement chez lui et voir si ma forme lui convient. S’il veut ajouter un peu de volume ou en retirer à certains endroits je vais modifier la forme pour l’adapter au fit qu’il veut. La forme est ensuite conservée pour des projets futurs, comme pour du bespoke. Cette option est gratuite, je demande juste une caution pour la paire d’essayage.

En faisant des chaussures sur-mesure, j’ai appris qu’il y a quelques problèmes de chaussant typiques que beaucoup de personnes vont avoir avec le prêt-à-chausser, mais qui peuvent être facilement corrigés sans avoir besoin de se lancer dans un projet bespoke. Le problème le plus commun est d’avoir mal aux orteils parce que l’avant est trop serré, le second est que le cou de pied a besoin d’être plus haut. Je peux facilement corriger ces points, même à distance. Tous les clients qui sont passés par ce système ont été surpris d’à quel point faire ces petits changements a fait la différence.

En tant que petit atelier je suis heureux de pouvoir proposer tous ces services aux clients, ça me permet de prendre le temps avec eux aussi, de comprendre leur besoin et de faire des chaussures qui y correspondent.

profite de ces formes plus douces, le sur-mesure ce n’est pas que des lignes acérées

N’as-tu pas peur que le sur-mesure soit éclipsé par le prêt-à-chausser ?

Non, les clients bespoke sont une clientèle différente. Cela a beaucoup à voir avec l’expérience vécue, la construction d’une relation avec ton bottier et aussi bien sûr le fait de pouvoir s’amuser à développer ton propre modèle en choisissant absolument tous les détails que la mesure offre.

Où imagines-tu Mogada dans cinq ans ? Penses-tu agrandir ton atelier et avoir une équipe ?

Je vais bien sûr développer le prêt-à-chausser et compléter la gamme. Il me semble évident qu’agrandir l’atelier sera nécessaire à un moment donné.

Mais mon principal objectif est de garder une qualité et un niveau de réalisation constants. Je ne m’inquiète pas tellement de « scaler » mon business ou des choses comme ça. Pour moi le plus important est de maintenir mon niveau de qualité, que mes clients soient contents et qu’il grandisse de manière organique sans commencer à faire des compromis.

Pour finir, quel est ton soulier idéal ?

C’est difficile de choisir, je dirais un richelieu bout-droit avec une seule ligne de brogueing sur le bout droit dans un joli cuir marron moyen qui se patinera joliment avec les années. Un joli bout rond, une semelle classique, rien d’extravagant mais bien réalisé. C’est une chaussure très polyvalente à mon avis.

Oui, c’est certainement ça, le soulier idéal

J’espère que cet entretien t’aura permis d’en apprendre plus. Mais je ne m’arrête pas là, j’ai eu l’opportunité de tester le service de MTM lors du dernier passage de Louis à Paris, je te raconterai l’expérience dans un autre article. Je remercie Louis pour sa patience et le temps qu’il a pris à répondre à mes nombreuses questions. C’est particulièrement réjouissant de voir une nouvelle maison aussi dynamique se lancer, et proposer un si beau produit. Si je n’ai qu’un seul conseil c’est de ne pas hésiter à se lancer, peu importe sur quelle offre, ce sera forcément une bonne idée !

travail de la semelle pour la bottine de 2023

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